— Altesse, je vous supplie d’y réfléchir à deux fois : si je mettais jamais le doigt dans la machine gouvernementale, il est probable que j’en casserais tous les ressorts avant qu’il fût une heure. À mon sentiment, personne n’a tort aujourd’hui autant que les gouvernements, lesquels font semblant de s’imaginer que les émeutes se calment avec de bonnes manières, que les drôles se désarment en leur opposant des machines en papier, et que les scélérats renoncent à leurs projets quand on leur fait des discours. Sachez, Altesse, qu’en 1674, tout le personnel d’une bonne et vraie révolution était sur pied en France. Il n’y manquait rien ; on y comptait un théoricien, Van den Enden ; un fier-à-bras, le sieur Latréaumont ; un intrigant, ma foi, très-actif et de race classique, Sardan, le neveu d’un huissier ; enfin un grand seigneur pour mettre les choses en train et être pendu après, nommé le chevalier de Rohan. La Gazette de Hollande, beaucoup d’autres gazettes encore soutenaient le tout avec renfort de libelles bien gentils, dans lesquels on ne ménageait pas le Grand Turc français, et même le régicide y fut prêché ouvertement en des termes comme ceux-ci : « Dieu ne tardera pas à rompre une tête si chargée de crimes énormes. »
— Pourquoi fallut-il attendre un siècle encore pour éclater ? Uniquement parce que la société de ce temps-là ne cédait rien à la canaille. Celle-ci levait la tête, on mettait le talon dessus. Elle allongeait une main, on la coupait. Nul gouvernement n’est possible à d’autres conditions, et c’est une chimère, et la plus inepte des chimères, que la créance en un futur état de choses où il n’existera que des gouvernés doux, patients, modérés, pleins de bon sens, de raison, d’instruction, et sachant la vérité des choses pour s’embrasser avec des gouvernants