Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/133

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tez pas, Altesse ! Si je ne conviens pas à la place, elle convient à d’autres, et j’ai justement quelqu’un sous la main.

— Qui donc ?

— Le conseiller de commune Martélius.

— Il est très-lié avec l’opposition.

— C’est son principal mérite. Vous n’aurez d’autre difficulté que de modérer son zèle pour votre service, et il jouera à colin-maillard avec tous les partis.

— S’il en est ainsi, ton avis vaut la peine d’être médité.

— Considérez attentivement la question sous chacune de ses faces. Martélius parle bien, pas trop bien ; il est intelligent, pas trop, et ne portera, pour ces deux chefs, d’ombrage à personne. Comme il ne connaît réellement aucune question, il n’a formulé, sur quoi que ce soit, une de ces opinions tenaces qui sont gênantes. Avec n’importe quel collègue, il s’entendra suffisamment, et en établissant les choses sur un tel pied qu’il soit bien convaincu de gagner plus à vous servir qu’à se mettre à la suite d’un autre intérêt, je crois qu’en le surveillant vous pourrez avoir en lui une confiance limitée.

— Ce que tu me dis là est de fort bon sens, et puisque tu ne veux pas payer de ta personne…

— Comment, Altesse, au moment où je vais enrichir ma patrie d’un homme d’État, vous me traitez de citoyen inutile !

— C’est bon, c’est bon, mais j’attendais mieux de toi.

En ce moment, la porte du cabinet s’ouvrit et un nouvel interlocuteur parut sur le seuil. Il hésita une minute, regarda le souverain et Lanze, puis il entra. C’était le frère puîné de Son Altesse Royale, le prince Maurice.

Un charmant jeune homme ! Il avait de jolis yeux bleus