Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/135

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— Qu’est-ce que c’est qu’une conduite comme la vôtre ? reprit Son Altesse Royale. Vous faites venir de Vienne une voiture d’un luxe absurde… Je dis absurde ! car vous n’avez pas le sou ! C’est à peine si, en mettant tout bout à bout, vous vous trouvez quinze mille livres de rentes ! Je vous donne, comme aide de camp général, vingt mille francs sur ma cassette, mais ça ne fait jamais que trente-cinq mille francs, et je peux cesser demain. Que signifient donc ces inepties ? Une voiture ! Mais il y a un mois, vous en receviez deux de Berlin ! il y a trois semaines, une de Paris ! Croyez-vous que je ne m’aperçoive pas que vous éparpillez vos dettes pour les faire plus grosses ? Et ce mémoire de tailleur qu’on m’envoie de Londres ? Et qu’est-ce que cette note de fabricant de nécessaires ? Et ce bijoutier qui vous vend une quinzaine de bracelets, puis je ne sais combien de médaillons ? Vous portez des médaillons et des bracelets, vous ? Pourquoi tout ce commerce ?

Monseigneur avait tour à tour saisi sur la table les mémoires accusateurs, et, à mesure, il les présentait au prince Maurice, qui, ne semblant éprouver aucun genre de plaisir à cet aspect, baissait la tête d’un air contrit. Comme il ne faisait aucune observation et ne soufflait mot, Monseigneur détacha de lui son regard sévère et inquisitif et, rejetant les mémoires de créanciers sur son bureau, se mit à marcher dans le cabinet en continuant son discours :

— Je pourrais admettre les dettes, mais je n’admets pas la sottise qui les a causées. Je ne prends pas mon parti de voir mon frère, de voir un homme de mon sang, un prince ! qui mange ce qu’il a et ce qu’il n’a pas, et qui, un beau jour, aura recours aux usuriers, ou fera des indélicatesses pour le beau dessein de se harnacher de chif-