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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/137

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Le docteur Lanze se leva précipitamment et n’eut juste que le temps de se mettre entre les deux frères. Jean-Théodore, pâle comme un mort, était saisi d’un de ces accès de fureur assez fréquents chez les meilleurs princes de sa famille, et dont on disait que, dans cet état, un Wœrbeck était capable de tout. Il semblait, en effet, sur le point de se livrer aux dernières violences contre le maladroit enfant qui venait, sans le savoir, sans le vouloir, sans y prétendre le moins du monde, d’enfoncer le doigt à l’endroit le plus sensible de sa plaie.

Le docteur lui dit à demi-voix et les mains jointes :

— Regardez-le bien, monseigneur ! Un tel avorton !

À cette parole, Jean-Théodore s’arrêta et montra la porte au prince Maurice qui s’en alla tout contrit, sans se rendre compte aucunement de la tempête qu’il venait d’exciter, ni même chercher, il faut lui rendre cette justice, à en pénétrer la cause.

Il rentra au palais de la résidence, prit les arrêts comme un bon enfant qu’il était, écrivit à mademoiselle Isabelle Turtle une lettre de rupture, et sonnant son valet de chambre, se mit à étudier avec cet homme de confiance le problème suivant :

— Quels vêtements est-il convenable de porter quand on est aux arrêts ?

Après avoir retourné cette question sous toutes ses faces et sur l’insinuation discrète de son conseiller, il ne résista pas à la tentation d’écrire un véritable mémoire, long et raisonné, à son tailleur, afin de lui indiquer des coupes et un choix de couleurs des plus propres à faire reconnaître au premier abord que l’infortuné qui en était recouvert ne pouvait se trouver que dans la position déplorable qui était la sienne.