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lieutenants de la garde, en petite tenue, tirés à quatre épingles.

À l’aspect de ces groupes belliqueux, mademoiselle Lanze se revêtit et s’arma de toute sa gravité. Il se trouvait que c’était une bonne, petite, gentille gravité qui la rendait plus adorable, de sorte que messieurs les lieutenants étaient transpercés à travers leurs plastrons et ne savaient quelle contenance tenir. Les uns devenaient rouges, les autres pâlissaient légèrement, quelques-uns prenaient un air victorieux ; mais ceux-là n’étaient pas les meilleurs sujets de l’arme. Il y en eut, et plus d’un, qui se jurèrent de passer la nuit à faire des vers, et deux seulement tinrent parole, parce que les autres ne purent jamais trouver que le premier hémistiche : « Ô Liliane ! »

Parmi ces admirateurs exaltés, mademoiselle Lanze ne voulut en distinguer qu’un seul, et son choix tomba sur le lieutenant de Schorn. Elle répondit à son profond salut par une inclinaison de tête à peine marquée, mais accompagnée d’un regard chargé de quelque chose de solennel. Il parut, du reste, le comprendre ainsi, car il prit immédiatement, pour sa part, un air pénétré, et, quand la jeune merveille eut tourné l’angle de la rue du Commerce, il s’arrêta, regarda sa montre, prit son portefeuille et écrivit : « 26 juin 185… 11 heures 40 minutes du matin ! ma vie a désormais sa raison d’être ! »

Qu’elle l’eût ou non, il n’en est pas moins vrai qu’arrivée en face du palais, mademoiselle Lanze traversa la rue, passa la grille au-dessus de laquelle se voyaient, au milieu d’un entrelacement de feuillages en fer doré, l’écusson des armoiries souveraines, et se dirigea vers l’entrée de gauche. Un chasseur et deux valets de pied se levèrent, saluèrent profondément, et le chasseur, précédant Liliane d’un pas noble et digne, monta un