Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

escalier, passa une antichambre, traversa un salon, et, ouvrant la porte d’un boudoir, annonça : Mademoiselle Lanze !

Aussitôt une grande jeune fille, habillée de noir, qui lisait dans un livre noir, se leva avec vivacité, et, se jetant au cou de Liliane, s’écria :

— Sois mille fois la bienvenue !

Cette grande jeune fille était Son Altesse la princesse Amélie-Auguste, fille unique de Jean-Théodore.

Elle était jolie, avait dix-neuf ans, s’habillait aussi mal qu’elle pouvait, toujours en noir, en couleur capucine ou lilas foncé, et, quand son père n’était pas présent, mettait des lunettes bleues. Elle se faisait gloire d’appartenir, et il est désolant d’arriver à convenir que Liliane, la ravissante Liliane, appartenait également à une secte protestante assez particulière.

Cette secte avait été importée à Burbach par un faquin appelé Schmidt. Dans certains pays, on appelle ceux qui en font partie « les Chrétiens gais », parce que, à propos de tout et de rien, ils se mettent à crier comme des échaudés sous prétexte de chanter des psaumes. Ils assurent que le cœur seul et l’amour de Dieu sont nécessaires pour le salut. La science n’est bonne qu’à développer l’orgueil, et, en conséquence de cette maxime, la police avait un jour surpris, au dire des méchantes langues, le sieur Schmidt au milieu d’une bande de ses partisans, tous se tenant par la main, dansant, gambadant et chantant autour d’un amas de livres d’école auxquels ils avaient mis le feu.

Naturellement, les Chrétiens gais se récriaient et traitaient cette allégation de fable. Ce qui est incontestable, c’est que Schmidt avait de l’éloquence et de l’onction. Il était maigre comme un clou, noir comme une taupe, avec de grands yeux égarés ; mais, on ne sait comment, il plai-