Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/143

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Quand Son Altesse et sa confidente eurent beaucoup pleuré et déclamé contre l’injustice et l’aveuglement des esprits engagés dans les voies du siècle, elles résolurent de dîner ensemble, et se donnèrent le plaisir d’un repas tout à fait conforme aux saines doctrines, en ce qu’il n’y parut rien qui ait eu vie. Elles firent entrer modestement dans leurs petites bouches une quantité étonnante de gâteaux au beurre, et de confitures avec des flots de thé et de lait. Et toujours dissertant sur les habitudes bien connues des vrais chrétiens, lesquels vivaient, comme on sait, au fond des déserts, seul séjour possible pour une âme pieuse ; elles avaient enfin l’ineffable bonheur de se sentir dans un tel état de sainteté, qu’elles en pleuraient d’attendrissement l’une sur l’autre, quand la princesse régnante entra chez sa fille et trouva les deux amies en larmes et s’embrassant à cœur joie. Son apparition fit l’effet d’un verre d’eau glacée jeté sur la tête des jeunes enthousiastes.

Son Altesse Royale, la princesse régnante de Wœrbeck-Burbach, née duchesse de Comorn, ressemblait à une incarnation de l’almanach de Gotha. Ce n’était pas parce qu’elle savait par cœur ce livre excellent, ce n’était pas qu’elle fût trop vaine de son origine, que, naturellement, elle mettait au-dessus de toute comparaison, c’était parce qu’elle ne connaissait que les rangs et n’apercevait dans les gens que leurs alliances. Elle se montrait assez bienveillante pour Liliane et pour toute sa famille, les considérant comme des meubles du palais ; seulement, il ne lui venait pas à l’esprit que ces meubles, parlant et se mouvant, fussent, pour ces causes, plus précieux ou à considérer autrement que les autres meubles. Le degré d’intérêt qu’elle portait aux mortels, se mesurait sur leur situation à la Cour, et son histoire naturelle se classifiait ainsi : les