Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/149

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qui buvait de la bière et parlait science avec plusieurs de ses graves amis. Elle reconnut également le prince, accompagné d’une aide de camp et portant, comme à l’ordinaire, l’uniforme de petite tenue de son régiment de hussards ; il venait de s’asseoir à une table pour prendre du café. Elle distingua encore beaucoup de jeunes gens de sa connaissance et répondit à leurs saluts avec sa sévérité accoutumée, puis elle rencontra quelques-unes de ses amies avec qui elle fit un bout de promenade, et dont elle attendait des allusions, plus ou moins couvertes, aux tristes propos dont elle était si préoccupée. Mais aucune de ces demoiselles ne lui en souffla mot, ce qui la consola un peu, et elle pensa, alors, que la princesse régnante avait sans doute exagéré, phénomène assez ordinaire dans les habitudes de l’auguste dame.

Enfin, Liliane rentra au logis. Elle aida sa mère à préparer le souper et à le servir. Ce n’était pas difficile, madame la docteur Lanze, considérant comme un dogme sacré le principe de n’allumer du feu à la cuisine que pour le dîner, le repas du soir se composait invariablement de choses froides. En allant et venant, Liliane se résolut à ne rien dire à sa mère des propos de la princesse, moitié pour ne pas l’affliger, moitié, surtout, parce qu’elle aurait eu grand’peine à prendre sur elle-même de parler de semblables choses.

Bientôt le professeur rentra. On soupa dans un demi-silence. Le vieux Lanze prit sa pipe, se versa un grand verre de vin de Moselle, se fit jouer par sa fille quelques morceaux de musique favoris, lut avec onction une ou deux pièces de poésie de Lenau, déclara que c’était admirable et le produit d’une âme profondément humaine, et, à dix heures, donna le signal de la retraite. Liliane se retira dans sa chambre.