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ma vie pour l’aimer toujours, ne lui faire ni chagrin ni honte, et garder intacts la douceur et le charme de ce que je reçois d’elle.

Encore une fois, ce n’est pas de l’héroïsme, je le sais ; mais pourquoi irais-je m’accabler de travaux que ni les besoins de mon cœur, ni les volontés d’aucun Eurysthée ne m’imposent ? Pourquoi jouer avec moi-même une dangereuse comédie, uniquement pour me guinder jusqu’à des couronnes que je pourrais fort bien manquer et dont, en définitive, je me passe ?

Eh ! puisque je suis fait ainsi, pourquoi mentir ? La sincérité personnelle est une vertu plus rare que l’intempérance amoureuse, et plus virile et plus mâle assurément, et celle-là, je me rends cette justice, je la possède ! Hé bien ! donc, c’est vrai ! la nature m’a doué d’une force essentiellement passive. Je suis contemplatif par essence, et c’est à l’examen des choses que se bornent mes capacités. Je suis, en face des vanités de ce monde, une sorte d’inspecteur aux revues. Je ne me mêle pas à l’escadron des passions, ni à l’infanterie des goûts, ni à l’artillerie des fantaisies, pour conduire les charges des unes, les attaques des autres, les évolutions des troisièmes. Non, je me mets là pour regarder tout, voir ce qui existe, ce qui fonctionne, et, bien que portant l’uniforme de l’armée, du moment que le tapage commence, je n’en suis plus, et mon état est de me tenir à l’écart, de distinguer ce qui tombe d’avec ce qui reste debout et d’en tenir registre. Sans vanité, je ne vois guère que les abeilles auxquelles je puisse justement me comparer. Je butine sur les surfaces.

Tandis que je me laissais aller à ces rêveries, j’éprouvais l’impression délicieuse d’une douce confession, où les faits avoués ne vous maltraitent pas, et cela ne doit pas