Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais qu’il ne fût plus là, qu’elle ne dût peut-être jamais le revoir, ou, tout au plus, dans un temps si éloigné que l’espérance s’usait à marcher sur cette route, elle avait peine à s’y résigner. Elle ne voulait de lui plus rien que le voir, et, ne pouvant pas et ne prévoyant pas quand cela se pourrait, son cœur, pourtant dompté, se serrait de nouveau, les larmes remplissaient ses yeux, et elle subissait, dans les tristes heures où sa pensée s’attachait à cette vérité nouvelle, un tourment lent, sourd, prolongé, qui égalait presque en douleurs ses désespoirs terribles des mois précédents.

Les lettres de Wilfrid ne lui avaient pas apporté un grand soulagement. Le langage emporté, violent, accusateur de cet enfant déçu avait plutôt nourri sa passion, autorisé ses révoltes que satisfait son âme. Quand plus de calme apparut dans ces messages d’ailleurs moins fréquents, quelquefois Harriet le prit mal, y soupçonnant une indifférence naissante et s’en offensant comme si elle ne l’eût pas elle-même commandée. Ensuite, la façon d’écrire de Nore devint celle d’un ami tendre, attaché, et aucune flamme n’éclata dans les mots ; la pauvre Harriet se dit alors que Wilfrid ne l’aimait plus. Elle trembla de voir cesser tout à fait une triste correspondance qui déjà ne la satisfaisait pas, et qui cependant projetait sur sa vie l’unique lueur qui pût encore y briller.

J’ai tort de dire, d’une manière si absolue, que les lettres de son ami ne la satisfaisaient pas. Parfois un mot, un mot seul, tout à coup découvert, vivement saisi, en illuminait les quatre pages. Ce que Nore lui disait l’intéressait toujours infiniment moins que ce qu’elle croyait découvrir par l’emploi de certaines expressions, par l’arrangement de certaines phrases, par la marche plus ou moins pressée, plus ou moins lente de l’écriture. Elle lisait entre les lignes des choses désolantes souvent, con-