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denham chez un cousin, et, si vous le permettez, je vous ferai ensuite une petite visite. Est-ce convenu ? Adieu.

« W. N. »

Cette lettre fut une de celles qui causèrent le plus de chagrin à Harriet. Elle n’aimait pas ce ton de persiflage qui s’était développé chez Wilfrid, et avait pris la place des éclats d’exaltation auxquels il s’abandonnait autrefois à tout propos. Elle ne comprenait pas que son ami avait subi l’action du monde ambiant ; qu’il avait souffert beaucoup et ne se souciait plus d’exposer ce qu’il sentait au contact des sots et des méchants, et que, dérobant en lui-même son individualité, il la tenait garantie sous une carapace rugueuse et piquante d’ironie et d’agression.

Harriet était surtout blessée quand, dans ses légèretés de langage, Nore paraissait sortir, à l’égard de son père, du respect profond qu’elle-même portait à celui-ci, et non-seulement elle en souffrait pour elle-même, elle accusait alors secrètement celui qu’elle aimait, d’avoir perdu le pouvoir de comprendre et de vénérer la vertu.

Enfin, et il ne faudrait pas jurer que ce dernier grief ne fût pas le plus considérable, elle souffrit de voir Nore aller à Wildenham, au lieu de lui demander (ce qu’elle eût trouvé inopportun, s’il l’avait fait) de venir la voir de suite, en Italie, et cette faute, cette faute ? non ! ce tort ?… non, pas même ce tort, enfin cette action qu’elle ne qualifiait pas, était bien aggravée par la circonstance que Nore ne disait pas un mot de lady Gwendoline et ne semblait pas y songer, tandis qu’au contraire, il était évident que c’était elle qu’il cherchait et voulait revoir de suite. Voilà où en était une femme qui ne prétendait pas à être aimée, qui l’avait déclaré, imposé, et qui, pour le salut de sa vie, n’eût consenti jamais à