Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/172

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avouer un seul des mouvements de ce cœur qui, depuis sept ans, était servilement acquis à Nore et mis en grande voie de cesser de battre par désespoir d’amour. Mais de tout ce qui constitue le mécanisme humain, la partie la plus perfectionnée est assurément celle qui est chargée de troubler et désappointer le reste.

Harriet ne voulut pas sortir ce jour-là. Son père, la trouvant plus pâle et plus concentrée que de coutume, se garda de la presser, et, en soupirant, s’en alla.

Alors, se voyant seule, Harriet se mit à une table et répondit, ainsi qu’il suit, à la lettre de Nore :

« Je suis bien aise, cher Wilfrid, que votre première pensée, en revenant en Angleterre, ait été de revoir vos parents. Je vous ai toujours pressé d’avoir là vos affections principales ; mon cœur, qui ne m’a jamais trompée quand il s’agit de vous, me le dit : votre bonheur futur viendra de ce côté. Je ne voudrais pas trop de hâte de votre part à venir ici. Mon père y trouverait sans doute beaucoup de plaisir et moi également, vous le savez. Mais, aussi, vous avez mieux à faire que de changer vos projets et de déranger votre vie, pour rencontrer des personnes assurément en dehors de votre existence. Une ancienne et passagère affection, c’est leur unique droit à votre souvenir. Vous ne nous devez pas beaucoup, rappelez-vous-en bien. Probablement, nous nous reverrons. Il n’est pas nécessaire que ce soit demain, ni après, ni dans un mois, ni plus tard. Puisque nous devons rester trois ans en Europe, il ne faut pas vous presser. Mon père achève son grand ouvrage sur les Birmans ; il ira à Londres l’hiver prochain pour le publier. Si, à cette époque, vous n’êtes pas sur le continent, vous serez le bienvenu chez nous. À l’occasion, écrivez-moi. Nous partirons pour Florence