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— Au diable les louables cantons ! m’écriai-je.

— Pas d’exclusion ! murmura Lanze d’un ton dogmatique, et là-dessus, nous commençâmes une dissertation assez subtile sur les formes du pittoresque, ce qui nous conduisit jusqu’à Magadino.

Ici, nous revînmes beaucoup de notre premier enchantement, les mérites du lac Majeur, dont nous venions de parler, avant de l’avoir vu, nous parurent médiocres. Une fois embarqués sur le bateau d’Arona, nous fûmes plus étonnés que charmés devant ces eaux noircies et comme épaissies par les ombres énormes de deux rives montagneuses dont les flancs attristés par les sapins n’ont rien que de monotone et même de maussade.

Tandis que nous pleurions notre déconvenue, un grand jeune homme blond et mince, à tournure distinguée, se trouvait à côté de nous ; il se mêla à la conversation d’une manière discrète, mais qui indiquait en même temps le désir de nouer relation.

Il n’était pas difficile de s’apercevoir que nous étions tous trois des poissons de la même espèce ou à peu près. La tentation de s’acquérir des compagnons de route, désir qui poignait évidemment l’inconnu, me prit aussi, et je vis que Lanze n’y répugnait pas ; j’engageai donc de plus près l’entretien, et je suis ravi de l’avoir fait, car notre nouvelle connaissance nous a fort aidés à passer aujourd’hui de bonnes heures. Il avait été comme nous pressé de voir, de contempler, d’admirer le lac Majeur et se désespérait de ne pas trouver ce à quoi il s’était attendu.

Il me semble, nous dit-il, qu’un pèlerinage à ce lac célèbre est une sorte d’initiation à laquelle les âmes qui s’estiment ne sauraient se soustraire. Pourquoi tant de poëtes, sans compter les prosateurs, pourquoi le prési-