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CHAPITRE DEUXIÈME

CAUSERIES INTIMES DES TROIS VOYAGEURS

Louis de Laudon ne passa pas le reste de sa vie à l’Isola Bella et pas plus à l’Isola Madre, et, lorsque avec ses deux compagnons, Conrad Lanze et Wilfrid Nore, il eut consacré la journée à parcourir ces lieux si séduisants, il ne put se tenir, avant le dîner, d’écrire les pages que l’on vient de lire et qui devaient, à son compte, servir de préface à beaucoup d’autres. L’effet ne suivit pourtant pas sa bonne volonté ; le manuscrit, serré dans son nécessaire de voyage, y resta indéfiniment et ne fut pas continué.

Laudon avait assez l’usage de commencer les choses ; mais une horreur naturelle l’empêchait de les continuer et encore plus de les finir.

Certaines parties du fragment qui précède ont pu faire pressentir ce trait de caractère. Leur auteur avait l’esprit fin, cultivé à peu près sur certains points, en friche sur d’autres ; il avait de l’honneur, un cœur de substance légère, facile à fêler, aussi facile à raccommoder ; perspicace pour les petites choses, myope pour les grandes dont il ne découvrait que des parties, sans jamais saisir l’ensemble ; mais, surtout, il était curieux, curieux à l’excès des affaires des autres, et l’intérêt réel, vrai, sympathique qu’il y prenait, le dédommageait du peu de sérieux de ses propres affaires.