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Il s’était attaché à Lanze en découvrant en lui une foule de qualités étrangères à sa propre nature et qui l’étonnaient. Il se sentit de même attiré vers Wilfrid Nore, et celui-ci ne le méritait pas moins, bien que d’une autre manière.

Après avoir parcouru l’Isola Bella dans tous les sens, être entré dans toutes les grottes, s’être assis sur tous les bancs, avoir contemplé tous les tableaux non moins que les palmiers nains et s’être extasié comme il convenait devant cette majestueuse devise Humilitas, proclamée sur le fer doré qui en forme les lettres, et la surmonte d’une couronne comtale, le tout formant une sorte de tableau gigantesque répété sur tous les coins des terrasses, les trois amis se rendirent à l’auberge où ils avaient annoncé l’intention de passer la nuit. Là, ils commencèrent à dîner comme des gens qui resteront à table tant que le cœur leur en dira, c’est-à-dire, suivant toute probabilité, fort longtemps ; non pas que leur fantaisie eût le moins du monde la concupiscence du boire et du manger indéfinis ; au contraire, sous ce rapport, le nécessaire était assez pour eux, et ils étaient tous trois dans une telle disposition, que le superflu les eût révoltés. C’était de l’entretien convivial qu’ils avaient également faim et soif. La nature dans laquelle ils étaient transportés, la liberté et l’insouciance temporaire, mais d’autant plus enivrante de la vie de voyage, leur rencontre fortuite, un goût mutuel pour leur compagnie, tout leur montait à la tête et les disposait aux épanchements.

Ce fut Wilfrid Nore qui le premier mit le pied dans la voie menant aux confidences. Le dîner dans sa partie sérieuse était fini ; on n’en était plus qu’à jouer avec quelques fruits et des bonbons, quand Wilfrid, jetant un regard sur la fenêtre à travers laquelle se montrait un