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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/232

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lieu de l’avancer, mit à terre son chapeau qu’il avait jusque-là tenu entre ses genoux, et, prenant l’attitude d’un avoué qui explique une affaire :

— Madame, dit-il, du jour où je sentis que mon cœur se laissait prendre, je me permis de vous étudier avec soin. Vous êtes trop admirée pour qu’on ne parle pas beaucoup de vous ; j’avais été peu impressionné par les commentaires courants de vos faits et gestes, et j’ai l’habitude de me créer des opinions d’après mes propres remarques, afin que, comme mes habits, elles m’aillent le mieux possible.

— Et quels furent les résultats de votre examen ?

— C’est, madame, que j’étais tombé dans le plus grand malheur qui me pût arriver.

— En quoi, je vous prie ?

— Je doute que vous puissiez aimer qui que ce soit, et, pour ma part, je suis certain que vous ne m’aimerez jamais. Comme toutes les personnes plus disposées à exercer la domination que la tendresse, si je m’abandonne, vous me piétinerez incessamment. Toujours à terre, j’aurai une existence dont je ne saurais vouloir, et c’est pourquoi je n’ai jamais eu l’intention de vous avouer ce que vous êtes pour moi.

— Si je vous comprends, et pour peu que vous sachiez ce que vous dites, vous ne me confiez en ce moment votre faiblesse que pour constater votre énergie ?

— Pas tout à fait.

Ici Casimir se leva et poursuivit son explication avec une sorte de solennité qui parut à la comtesse l’indice d’une certaine agitation.

— Vous êtes loin, dit-il, d’être une personne ordinaire ; vous êtes une personne stérile. Les grandes qualités dont votre âme est pourvue ressemblent à ce prince des Mille