Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/24

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qui consacre et, aux yeux de la foule, rend surtout désirable le fait d’être issu directement d’un souverain régnant ?

C’est parce que, en prononçant cette parole magique : « Je suis fils de roi, » le narrateur établit du premier mot, et sans avoir besoin de détailler sa pensée, qu’il est doué de qualités particulières, précieuses, en vertu desquelles il s’élève naturellement au-dessus du vulgaire. « Je suis fils de roi » ne veut donc nullement dire : « Mon père n’est pas négociant, militaire, écrivain, artiste, banquier, chaudronnier ou chef de gare… » Qui est-ce qui lui demande des nouvelles de son père, dont personne ne se soucie dans l’auditoire, intéressé uniquement par ce qu’il est lui-même ? Cela signifie : « Je suis d’un tempérament hardi et généreux, étranger aux suggestions ordinaires des naturels communs. Mes goûts ne sont pas ceux de la mode ; je sens par moi-même et n’aime ni ne hais d’après les indications du journal. L’indépendance de mon esprit, la liberté la plus absolue dans mes opinions sont des priviléges inébranlables de ma noble origine ; le Ciel me les a conférés dans mon berceau, à la façon dont les fils de France recevaient le cordon bleu du Saint-Esprit, et tant que je vivrai, je les garderai. Enfin, par une conséquence très-logiquement issue de ces prémisses, je ne suis pas heureux de ce qui suffit à la plèbe, et je cherche dans les joyaux que le Ciel a mis à la portée des hommes d’autres bijoux que ceux dont elle s’affole.

D’où me viennent tant de distinctions, si fortes, si marquées, qui me mettent tellement à part de l’entourage, que cet entourage, assurément, me sent étranger à lui et ne m’en porte qu’une bienveillance des plus médiocres ? Évidemment de ce que je suis fils de roi, puisque la qualité royale a surtout cet effet de placer celui qui la pos-