des haillons ; le peu d’argent qu’il possédait s’épuisa. Il demanda l’aumône. Il passait son temps sur la grande route, guettant le passage des voyageurs, cherchant, au milieu d’eux, Carmen. Un jour, il fut content. Carmen, apparut entre sa mère et son frère ; elle l’aperçut d’abord, debout sur une roche, la considérant avec passion. Elle fit un geste d’effroi, don Juan suivit la direction du regard de la pauvre fille, il vit ce dont elle était épouvantée, coucha en joue son arquebuse, et fit feu. Don Pierre, atteint, tomba, se releva, s’enfuit, et Carmen vit le sang rougir la chemise. Elle cacha son visage dans ses mains en poussant un cri d’angoisse. Mais le malheureux homme eut la force d’échapper. Il ne pouvait être question de le poursuivre à cheval dans les pierreux sentiers où il se traîna.
Le soir, arrivé à une auberge, don Pierre, ayant bandé tant bien que mal sa blessure, entendit des muletiers raconter la mort de sa femme ; on couvrit son nom de malédictions et, ajoutait-on, la Sainte-Hermandad le cherchait. Il se coucha à terre dans un coin et pleura amèrement toute la nuit. Le lendemain, il prit la direction du Portugal, s’arrangeant de façon à ne pas perdre les traces de celle qu’il voulait voir à tout prix.
Les deux dames s’établirent à Cintra. Don Pierre trouva de l’emploi dans une ferme aux environs. Il se cachait le jour ; la nuit, il errait autour de la maison qui renfermait son trésor ; le dimanche, il réussissait quelquefois à apercevoir Carmen à la messe. On ne peut dire que cela le satisfît beaucoup ; pourtant il vivait. Don Pierre de Luna devenu un manœuvre, un homme de la classe la plus abjecte, nourri de pain grossier, couchant sur la paille, vêtu de lambeaux et, qui plus est, se sachant en horreur à tous ceux qui avaient jamais entendu parler de lui, ce