don Pierre pouvait-il être un objet d’envie ? Mais encore il vivait, et d’apercevoir Carmen, de loin en loin, suffisait pour qu’il préférât cette misérable existence à toute autre. Cela dura deux ans.
— Deux ans ! murmura Conrad.
— Oui, deux ans ! Un soir, don Pierre, retiré dans de grandes herbes, à moitié caché par un arbre, en face de la maison, vit le frère de Carmen arriver à cheval avec un jeune homme, élégamment vêtu. Quelques serviteurs en livrée les accompagnaient.
Don Pierre frémit. Il en avait sujet. Don Félix de Souza venait de demander la main de Carmen, et l’avait obtenue. C’étaient les fiançailles qu’on allait célébrer. Elles eurent lieu, en effet, pendant que don Pierre s’étant approché ardemment de la porte, apprenait ces détails de la bouche des gens de la maison. Il fut comme étranglé par la douleur, et, bien qu’il tâchât de se contenir, les mouvements de sa physionomie étaient tels, qu’ils appelèrent l’attention. Un des hommes de don Juan reconnut le malheureux, le dénonça à ses camarades ; ceux-ci, à leur tour, avertirent les Portugais ; on se jeta sur lui, on le renversa malgré sa résistance, on le garrotta. Ils coururent prévenir leurs maîtres de la capture.
Don Juan de Menezès et son ami sortirent aussitôt.
— C’est bien lui ! s’écria don Juan, sans daigner adresser une parole au captif. Mais don Félix, considérant don Pierre, lui dit avec hauteur :
— Que veniez-vous chercher ?
— Seulement sa vue, répondit don Pierre, en baissant la tête.
— Ne parlez pas à cet homme ! s’écria don Juan, c’est un assassin, un lâche.