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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/302

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s’impatientait pas ; il lui était fort indifférent que Mohsèn et Djemylèh tombassent dans les mains de leur juge une demi-heure plus tôt ou plus tard. À la fin, cependant, on était convenu qu’Abdoullah-Khan remettrait purement et simplement les coupables aux mains du Prince, sans s’informer de ce que Son Altesse comptait en faire, et même il lui serait permis de les placer sous l’auguste protection, en exprimant par ses paroles que, dans sa conviction intime, ils y seraient tout-à-fait à l’aise et en sûreté. Un messager avait alors été envoyé à la demeure du favori. Il revint au moment où le chef de police finissait le récit de ce qui se passait dans la ville, pour déclarer que tout le monde s’était enfui, Akbar, Mohsèn et Djemylèh, et qu’on ne savait où ils étaient allés.

Abdoullah-Khan ne laissa pas à son maître le loisir de s’emporter. Il prit gravement la parole :

— Certainement, mon insolent de fils (que la malédiction de Dieu soit sur lui !) aura sottement craint le déshonneur de sa maison et, sans attendre l’effet des bontés de Votre Altesse, il aura emmené avec lui les deux scélérats. Heureusement, je sais où les reprendre. Ils sont dans ma tour de Roudbàr, à quatre heures d’ici, dans les montagnes.

Puis, tirant son anneau de son doigt et le remettant au chef de police :

— Envoyez, dit-il, tout de suite, quelques messagers avec mon écuyer, que vous trouverez en bas. On remettra cet anneau à mon fils Akbar, et je vais écrire l’ordre de délivrer les prisonniers à vos gens. De cette manière, le mal sera réparé et la ville retrouvera son repos.

Abdoullah-Khan parlait d’un ton si net, si précis, que l’indignation ne trouva pas sujet de se répandre. Personne n’osa mettre en doute la parfaite bonne foi du personnage qui, en effet, n’était, à ce moment, que trop sincère. Il était bien résolu à trahir, à livrer les jeunes gens ; il eût préféré ne pas céder ce point ; mais la raison d’État, mais la convenance voulaient qu’il imposât silence aux scrupules«de sa fierté, et il le fit. Un homme qui mène, à un degré quelconque, les intérêts des autres, perd nécessairement une grande partie de ses délicatesses