Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/129

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— Il n’y a pas de doute à cela, repartit Amynèh d’un petit air capable, mais ta part n’est pas si mauvaise, et tu n’as pas raison, en y songeant, de froncer ainsi les sourcils. Ta part, c’est moi, et tu m’as assuré quelquefois, plus d’une fois, et même souvent, que tu n’en demandais pas d’autre.

Kassem, malgré ses sombres dispositions, ne put s’empêcher de sourire à la gentillesse de la jeune femme ; ce que voyant, celle-ci s’accouda tout à fait sur les genoux de son mari et chercha, bien certainement, par la manière dont elle le regarda, à lui faire perdre la tête. Elle y avait réussi souvent ; pour ce coup, elle échoua.

— Amynèh, reprit-il, ma part, mon kismèt est de partir aujourd’hui même et de te quitter pour jamais !

— Pour jamais ? Me quitter ? Partir ? Je ne veux pas !

— Ni moi non plus, je ne veux pas ! Mais c’est mon kismèt, et il n’y a rien à objecter. Le derviche m’a ouvert les yeux. J’ai senti à quoi le ciel m’appelle. Il faut que j’aille.

— Où ?… Mon Dieu ! Dieu miséricordieux, je vais devenir folle !

Et la pauvre Amynèh se tordit les bras, et deux torrents de larmes jaillirent de ses yeux. Puis elle saisit le bras de Kassem et lui cria :

— Parle donc ! parle donc ! Où veux-tu aller !

— Je veux aller rejoindre le derviche.