Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/224

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— Qu’il est beau ! Bénie soit sa mère ! Mon fils, mange ! Mon fils, bois ! Mon oncle chéri, ne le laisse pas mourir ! Oh ! mon frère adoré ! Veux-tu déchirer mon cœur ? Gambèr-Aly de mon âme ! Voilà des confitures ! Voilà du sucre ! Voilà du lait ! Voilà des gâteaux ! Parle-moi ! Ne regarde que moi ! Écoute-moi ! Personne ne te touchera ! Sur ma tête, sur mes yeux, sur la vie de mes enfants ! Qui oserait te regarder de travers, nous le mettrions en pièces !

Mais, à ces paroles rassurantes, Gambèr-Aly ne répondait pas un mot. Il était épuisé par les émotions et par la faim, et, en toute réalité, s’en allait doucement vers le passage du pont de Sirat, où les morts ont leur chemin.

Et pendant que les femmes, vieilles et jeunes, mariées et filles, se transportaient ainsi à Shahabdoulazym et que, tour à tour, ces flots de voiles bleus et de roubends ou tours de tête blancs, entraient et sortaient du lieu saint en poussant des soupirs, jetant des cris et se tordant les bras de chagrin pour la perte imminente du plus beau jeune homme qui eût jamais existé, on vit tout à coup, à la porte de la ville, les soldats de garde quitter leurs Kalyans, se mettre sur les pieds et saluer profondément. Un cavalier, deux trois cavaliers franchirent lestement le pont jeté sur le fossé ; derrière eux passa non moins rapidement un groupe de domestiques bien montés, et, derrière ; encore apparut, soulevant des flots de poussière, une voiture