Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/279

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magnifiquement équipé. Il était tellement joyeux que son bonheur semblait exalter son cheval même, et l’homme et la bête lançaient des flammes par tous leurs mouvements. Il y avait aussi un certain Abdoulrahym des Bakhtyarys, un grand gaillard avec des épaules d’éléphant. Il nous criait :

— Mes enfants ! mes enfants ! Vous êtes de vrais Roustems, et des Iskenders ! Nous exterminerons cette canaille turkomane jusqu’au dernier homme !

Nous étions ravis. On se mit à chanter. L’infanterie avait deux chefs : un lieutenant que je ne connais pas et notre vékyl. Le brave homme s’écria :

— Maintenant, il faut des vivres et de la poudre !

On s’aperçut qu’on mourait de faim. Il y avait pourtant du remède. Nous nous mîmes tous à arracher des herbes dans la plaine. Une partie fut réservée pour les chevaux. Avec le reste, on résolut de faire la soupe. Mais la pluie continuait à tomber à flots, et il était d’autant plus difficile d’allumer du feu, qu’il n’y avait pas de bois. On aurait pu en faire avec de l’herbe sèche. De l’herbe desséchée, on en avait tant qu’on voulait ; seulement elle était gonflée d’eau. On prit donc son parti de manger l’herbe comme elle était. Ça n’était pas bon, mais l’estomac était rempli et ne criait plus. Pour la poudre, la question restait difficile. En partant de Meshhed, on ne nous en avait guère donné. Les généraux l’avaient vendue. Quand il fallut s’en procurer, cette fois, ce fut labo-