Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/373

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étroitement, le bouclier au bras, le fusil sur l’épaule, l’œil actif, la barbe farouche, se croisaient dans les bazars, bousculant les passants, et prêts à se sauter à la gorge. Pourtant on n’en faisait rien. On attendait d’être organisé, d’avoir une direction ; l’incertitude planait ; résolu à se battre, on s’en promettait plaisir et honneur ; mais il fallait des chefs reconnus et un plan. Cet état de choses devait durer à peu près deux ou trois journées ; ensuite tout éclaterait. C’est l’usage.

Le Prince était en conférence amicale avec Abdoullah-Khan, le prêtre Moulla-Noureddyn et le médecin Goulâm-Aly, quand le juge de police de la ville, l’air effaré, vint avertir Son Altesse de ce qui se passait. Le prêtre et le médecin furent satisfaits, intérieurement, de voir les choses prendre cette tournure, attendu que la conclusion rapide de l’affaire en était précipitée ; quant à Abdoullah-Khan, il resta consterné ; c’était plus qu’il n’avait prévu ; une sorte d’insurrection ne l’accommodait pas pour le moment, et voyant, d’ailleurs, le Prince se laisser impressionner par le récit du chef de police, il prévit que, si l’on ne trouvait pas chez lui les deux amants, la colère du Souverain en serait bien autrement excitée qu’elle ne l’eût été sans l’émeute. Il avait fait un calcul un peu compliqué, mais pourtant assez raisonnable : en donnant asile à Mohsèn et à sa compagne, il s’acquérait une belle réputation de générosité, ensuite, il