Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/406

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Ne trouble pas plus longtemps d’honnêtes gens qui vont à leurs affaires et si Dieu te permet, dans sa sagesse impénétrable, de souiller le monde de ta présence, au moins que ce ne soit pas parmi nous  !

Un applaudissement général couvrit la fin de ce discours édifiant, mais Valerio, considérant la figure du Shemsiyèh, vit des larmes sillonner ses joues ; il fut ému, lui aussi, et il dit brusquement à Kerbelay-Houssein et de façon à être bien entendu par la foule.

— Je prends cet homme pour mon domestique. Je ne sais pas s’il est Shemsiyèh ou autre chose, mais je ne m’en soucie point. Si quelqu’un m’attaque moi ou les miens, il aura à faire au vizir d’Erzeroum. Comprenez-vous cela, Kerbelay-Houssein ?

— Parfaitement, répondit celui-ci, avec un clignement d’œil approbatif. Mais je ne veux pourtant faire de la peine à qui que ce soit. Hommes musulmans, chrétiens et juifs, vous entendez ce que vient de dire ce seigneur européen  ! Je suis un pauvre muletier et je dois respecter les ordres du gouvernement Sublime  ! Si quelqu’un d’entre vous n’est pas content, je l’engage à rester à Erzeroum. Mais voilà les bêtes chargées, en marche  !

Sur cette parole magique, toute la foule se dispersa, subitement entraînée par le sentiment et la passion de ses affaires et de ses intérêts directs, et, tandis que défilaient les chameaux chargés et le reste, le Shemsiyèh saisit la main de Valerio et la baisa.