Une petite aventure donna une sorte de consécration à ces sages paroles. Valerio et Lucie, accompagnés du poëte, du Shemsiyèh et de Rodjèb-Aly s’étaient mis en route un matin pour aller, à quelque distance, visiter un village dont on leur avait fort vanté la situation pittoresque. Tous étaient fort gais ; le poëte, un peu moins malade qu’à son ordinaire, prenait des airs avantageux sur son cheval de louage et se comparait à un chevalier des anciens temps ; il en avait plus que jamais la plume, l’épée et les éperons ; mais, moins que jamais, toute autre chose. Redjèb-Aly chantait à tue-tête une chanson persane, et le Shemsiyèh, toujours replié en lui-même, marchait sans rien dire auprès du cheval de Lucie. Le passage était resserré entre les montagnes et charmant, plein d’habitations rustiques en terre battue, à toits plats, encombré d’arbres fruitiers chargés de pommes, de poires, de prunes et de raisins. Tout à coup on se trouva dans un défilé étroit, circulant avec un ruisseau et dominé par des crêtes hautes, et on entendit retentir une violente fusillade.
Valerio mit brusquement la main sur la bride du cheval de sa femme et l’arrêta court. Le Shemsiyèh, par un mouvement qui lui fit honneur, tira son sabre et se jeta devant Lucie pour la couvrir de son corps ; le poëte mit l’épée à la main, en invoquant Saint-Georges, et Redjèb se coucha par terre en criant qu’il était mort. L’alerte fut vive ; il y avait de quoi. Mais aus-