Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/74

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Assanoff, humilié, maté par cette fille et par les images, surtout, par les images trop exactes, trop crues, trop vraies qu’elle évoquait devant lui, Assanoff essaya de se défendre.

— J’ai pourtant appris quelque chose, murmura-t-il. Je sais mon métier de soldat, et on ne m’a jamais accusé de manquer de courage. Je ne fais pas honte à ma famille, j’ai de l’honneur !

— De l’honneur ? Toi ! s’écria Omm-Djéhâne avec le dernier emportement ; va raconter ces billevesées aux gens de ta sorte ! mais ne pense pas m’imposer avec ces grands mots. N’ai-je pas été nourrie aussi parmi les Russes ? L’honneur ! C’est de vouloir être cru quand on ment, de vouloir passer pour honnête quand on n’est qu’un coquin, et de vouloir être tenu pour loyal quand on vole au jeu. Si l’on rencontre un autre drôle de son espèce, tous deux, gens d’honneur, on se bat et on est tué justement le jour où, par hasard, on n’avait pas tort. Voilà ce que c’est que l’honneur ; et si tu en as vraiment, fils de ma tante, tu peux te considérer comme un Européen parfait, méchant, perfide, larron, assassin, sans foi, sans loi, sans Dieu, un pourceau ivre de toutes les ivresses imaginables et roulé dans tous les bourbiers du vice !

La virulence de cette sortie parut à Assanoff dépasser la mesure, ce qui lui rendit quelque chose de la possession de lui-même :

— Qui veut trop prouver ne prouve rien, dit-il froi-