Aller au contenu

Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

analyser les modulations de cette voix trop connue.

— Eh ! par le diable ! madame, s’écria-t-il enfin, vous êtes… ce n’est pas possible… Ah ! Rosetta, perfide Rosetta, est-ce vous que je retrouve ?

C’était Rosetta, la toujours belle Rosetta ; mais aussi c’était Rosetta bien changée. La solitude, l’éloignement des mauvais conseils avaient réchauffé le bon sang qui coulait dans ses veines. Après quelques mois de réclusion, elle avait pu réfléchir à la cruauté de sa conduite passée envers le pauvre comédien et, en appréciant ce qu’il valait, elle avait aussi reconnu la honte dont sa conduite légère aurait pu couvrir sa famille. Il n’en fallait pas plus pour une âme aussi fière. De ce moment, toutes ses pensées s’étaient tournées vers le recueillement et la piété, et bientôt les remords de deux actions, coupables sans doute, mais au fond excusées par sa jeunesse, avaient fait place à une grande exaltation de sentiments religieux. En un mot, servir Dieu était depuis longtemps sa seule et unique existence.

Elle n’avait pas tardé à découvrir, cependant, la profonde démoralisation de son cloître qui, pareil à tous ceux de Venise, était loin d’observer à la lettre les vœux monastiques ; et toujours romanesque, elle avait pris la résolution de fuir du couvent pour aller s’enfermer dans quelque autre du même ordre qu’elle irait chercher en Allemagne, où elle ne doutait pas que la règle fût mieux observée. Pour se faire protéger dans ce long voyage, elle avait compté sur sa fierté et sur l’argent