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tenter la fortune à Venise la belle, la cité des plaisirs et de la fortune par excellence. Arlequin et Pantalon, qui étaient des gens de bon conseil, proposèrent de déterrer quelque abbé meurt-de-faim, comme il s’en trouvait tant dans la ville, afin qu’il leur fît des pièces. L’avis fut adopté - et dame Barbara n’eut pas longtemps à chercher pour trouver le pauvre abbé Corybante, petit jeune homme maladroit et malingre, grand amoureux des Muses, et n’ayant pas le sou. Le prix de chaque pièce fut fixé une fois pour toutes à dix écus, et l’abbé se mit au travail.

Comme il était heureux, ce pauvre abbé ! il allait enfin produire un fils de son imagination et empocher dix écus, chose rare, chose presque immémoriale dans sa vie ! Aussi, à dater de ce jour, combien il se montra distrait dans les leçons de latin dont il ennuyait les jeunes nobles, et dans les leçons de mandoline qui amusaient les jolies patriciennes ! Le matin de la représentation, l’abbé était complètement hors de lui lorsqu’il se présenta au palais Tiepolo pour faire le professeur auprès de la belle Rosetta, dont il était plus particulièrement le souffre-douleur. Il est bon de dire que la signora Rosetta Tiepolo était une riche héritière que la mort de ses parents avait fait tomber sous la tutelle de la Sérénissime République ; elle possédait des biens immenses en Candie et dans l’Archipel, et son illustre tutrice n’eût pas été fâchée de trouver un prétexte pour accaparer ces richesses. Cependant, on avait autorisé le comte