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Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/20

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Tartaglia plus niais, Arlequin plus vif, Pantalon plus lourd et plus fin, Colombine plus jolie ; mais que dirai-je de Scaramouche ? Rappellerai-je qu’il fit pâmer un inquisiteur des Dix, qui de son existence n’avait ri, et que le morceau de musique qu’il chanta - car l’abbé avait eu le bon sens d’exploiter la voix magnifique que Matteo possédait à son insu - fit déclarer que, si ce garçon-là travaillait, il irait loin. De toutes parts ce ne furent qu’applaudissements, et, en sortant du spectacle, les nouveaux acteurs furent portés aux nues. Le comte Foscari décida que Colombine était digne d’attention ; mille guitares s’accordèrent pour elle ; quant à Rosetta, elle trouva Matteo si charmant, si charmant… (ma foi, j’ai peur que le lecteur ne craigne un conte de fées !) ; elle le trouva, dis-je, si charmant, qu’elle ne dormit pas de la nuit, se tourna et retourna sur sa blanche couchette, et mangea des confitures jusqu’à l’aurore pour s’occuper.

Le jour venu, elle envoya chercher l’abbé ; et, après quelques circonlocutions qui l’étonnèrent elle-même, tant elle avait la bonne habitude de céder à tous ses caprices, elle lui déclara qu’elle avait envie de voir un théâtre derrière la toile, et qu’il fallait qu’il la conduisît à celui de Polichinelle. L’abbé pâlit à cette proposition plus que hasardée : il balbutia, puis trouva, dans sa stupéfaction, la force de se roidir ; mais tout cela fut inutile : la résistance rendit à la belle Vénitienne sa force d’âme, et elle insista si bien que, quelques