Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/32

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connaissance bonne à avoir en cas de mort, monsieur, on lui a recommandé le repos.

— Le repos ? le repos, chère dame ? Ah ! le pauvre ami, qu’il se repose ! Ne parlez pas, ne parlez pas, mon enfant ; reposez-vous bien jusqu’à cinq heures.

— Comment ! jusqu’à cinq heuresl dit l’hôtesse ; est-ce que vous voulez le faire jouer ce soir ?

— Moi ? non, oh ! certainement non. Mais la Sérénissime République, vénérable dame, la Sérénissime République veut qu’il joue ! Ah ! Seigneur Dieu, s’il ne jouait pas, je serais perdu, ruiné, emprisonné ! Il jouera ! N’est-ce pas que tu joueras, mon enfant, mon ami, mon fils, mon… ? Ah ! ah ! ah ! s’il ne jouait pas, je le ferais jeter au cachot !

— Mort-Dieu ! s’écria le malade, va-t’en à tous les millions de diables, je jouerai !

— Benissime, caro mio, très bien ; je m’en vais. Surtout pas d’imprudence ; il est deux heures, jusqu’à cinq heures, vous avez amplement le temps de vous reposer.

Jusqu’au moment de paraître sur la scène, le temps s’écoula pour Matteo dans une espèce d’assoupissement douloureux. Le souvenir de Rosetta jouissant de son humiliation ne quittait pas le cerveau de l’infortuné Scaramouche. Enfin l’heure fatale sonna. L’impresario envoya prendre son ténor ; du plus loin qu’il l’aperçut, il ne se fit pas illusion, mais il se dit : "Pourvu qu’il paraisse, on saura bien que le reste ne dépendait pas de moi."