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Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/33

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La salle était remplie : la curiosité de voir Scaramouche devenu le sentimental et infortuné amant de Vénus était universelle. Le doge et ses conseillers, le corps diplomatique, les belles dames, les élégants cavaliers s’encombraient dans les loges tapissées de velours, galonnées d’or, où une illumination a giorno jetait des flots de lumière. L’ouverture obtint un grand succès ; cependant on voulait le chanteur et non la musique ; le chanteur, le pauvre chanteur, dont le cœur était déchiré pour l’amour d’une femme qui brillait à l’une des plus belles loges.

La toile se leva, Vénus parut. C’était la ravissante Fiorella qui faisait ce rôle ; elle fut fort applaudie et elle le méritait ; puis vint Mars, le dieu de la guerre. Je me souviens qu’il avait un ventre énorme et des jambes torses ; mais, avec cela, une de ces basses formidables, indispensables à un guerrier. Puis vint Adonis : il était pâle comme la fleur née de la dépouille de Narcisse ; il s’avança lentement du fond de la scène, et sa démarche était si noble, sa pose si nonchalamment rêveuse et triste, sa pâleur même se mariait avec tant de charme à la couronne de fleurs diverses qui ceignait sa tête, qu’un murmure flatteur passa sur toutes les lèvres. Il ouvrit la bouche, étendit les bras vers Vénus, rencontra les yeux de Rosetta… l’orchestre se tut ; la salle profondément stupéfaite s’effraya ; aucun son ne sortit des lèvres bleues de l’acteur ; il fit des efforts inouïs, déchirants, hélas, inutiles ! Sa tête se perdit, et il tomba