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Page:Gobineau - Scaramouche - 1922. djvu.djvu/41

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Scaramouche prit un ton jovial :

— Rien ; lui planter ce bijou dans la gorge.

— Malheureux !… Au fait, tu n’as pas tort. Mais la police ? Songe que c’est une patricienne.

— Songe, toi, reprit le jeune homme, avec une fureur sans pareille, qu’elle s’est jouée d’un homme qui ne pensait pas à elle, l’a ensorcelé, l’a rendu plus idiot qu’un idiot ; puis, après l’avoir livré à la risée de ses amis, elle veut reprendre son jouet pour le fouler encore aux pieds ! Ah ! c’est trop !…

Matteo prononça ces paroles avec le plus grand emportement et, s’élançant de la chambre sans écouter Colombine, il sortit de la maison et s’achemina vers le canal pour y prendre une gondole. A ce moment, deux messieurs excessivement polis l’invitèrent à arrêter son choix sur la leur, qui était là à attendre, au bord du traghetto ; Scaramouche les remercia gracieusement et voulut continuer sa recherche, car, malgré leurs formes pleines d’aménité, ses interlocuteurs avaient des figures passablement patibulaires ; alors ils lui firent observer qu’ils avaient l’honneur d’appartenir aux trois inquisiteurs d’État, lesquels étaient fort désireux de l’entretenir. Le pauvre Matteo frémit de tout son corps et, comprenant qu’il était impossible de ne pas se rendre à une telle invitation, il entra dans la malencontreuse gondole et vint débarquer à une porte assez basse, sombre, et à laquelle il trouva un aspect très maussade. On le fit monter par un escalier éclairé au moyen de lampes fumeuses, attendu que le jour arrivait