Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il existe sur le globe différents points qu’on peut appeler les clefs du monde, et ainsi l’on conçoit que, dans le cas du percement de l’isthme de Panama, la puissance qui posséderait la ville encore à construire sur ce canal hypothétique aurait un grand rôle à jouer dans les affaires de l’univers. Mais ce rôle, une nation le joue bien, le joue mal, ou même ne le joue pas du tout, suivant ce qu’elle vaut. Agrandissez Chagres, et faites que les deux mers s’unissent sous ses murs ; puis soyez libre de peupler la ville d’une colonie à votre gré : le choix auquel vous vous arrêterez déterminera l’avenir de la cité nouvelle. Que la race soit vraiment digne de la haute fortune à laquelle elle aura été appelée, si l’emplacement de Chagres n’est pas précisément le plus propre à développer tous les avantages de l’union des deux Océans, cette population le quittera et ira ailleurs déployer en toute liberté les splendeurs de son sort (1)[1].

  1. Voici, sur le sujet débattu dans ce chapitre, l'opinion, un peu durement exprimée, d'un savant historien et philologue : « Un assez grand nombre d'écrivains s'est laissé persuader que le pays faisait le peuple ; que les Bavarois ou les Saxons avaient été prédestinés par la nature de leur sol à devenir ce qu'ils sont aujourd'hui ; que le christianisme protestant ne convenait pas aux régions du sud ; que le catholicisme n'allait pas à celles du nord, et autres choses semblables. Des hommes qui interprètent l'histoire d'après leurs maigres connaissances, ou même leurs cœurs étroits et leurs esprits myopes, voudraient bien aussi établir que la nation qui fait l'objet de nos récits (les Juifs) a possédé telle ou telle qualité, bien ou mal comprise, pour avoir habité la Palestine et non pas l'Inde ou la Grèce. Mais si ces grands docteurs, habiles à tout prouver, voulaient réfléchir que le sol de la terre sainte a porté dans son espace resserré les religions et les idées des peuples les plus différents, et qu'entre ces peuples si variés et leurs héritiers actuels, il existe encore des nuances à l'infini, bien que la contrée soit restée la même, ils verraient alors combien peu le territoire matériel a d'influence sur le caractère et la civilisation d'un peuple. »
    (Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 259)