Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/164

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Les différentes races n’ont pas douté que l’auteur antique de l’espèce n’eût précisément leurs caractères. Sur ce point, sur celui-là seul, leurs traditions sont unanimes. Les blancs se sont fait un Adam et une Ève que Blumenbach aurait déclarés caucasiques ; et un livre, frivole en apparence, mais rempli d’observations justes et de faits exacts, les Mille et une Nuits, raconte que certains nègres donnent pour noirs Adam et sa femme ; que, ces auteurs de l’humanité ayant été créés à l’image de Dieu, Dieu est noir aussi, et les anges de même, et que le prophète de Dieu était naturellement trop favorisé pour montrer une peau blanche à ses disciples.

Malheureusement, la science moderne n’a pu rien faire pour simplifier le dédale de ces opinions. Aucune hypothèse vraisemblable n’a réussi à éclairer cette obscurité, et, en toute vraisemblance, les races humaines diffèrent autant de leur générateur commun, si en effet elles en ont eu un, qu’elles le font entre elles. Reste à expliquer, sur le terrain modeste et étroit où je me confine, en admettant l’opinion des Unitaires, cette déviation du type primitif.

Les causes en sont fort difficiles à démêler. L’opinion des Unitaires l’attribue, je l’ai dit, à l’influence du climat, de la position topographique et des habitudes. Il est impossible de se ranger à un pareil avis (1)[1], attendu que les modifications

  1. (1) Les unitaires se servent constamment, pour appuyer cette thèse, de la comparaison de l’homme avec les animaux. Je viens de me prêter à ce mode de raisonnement. Cependant, je n’en voudrais pas abuser, et je ne le saurais faire, en conscience, lorsqu’il s’agit d’expliquer les modifications des espèces au moyen de l’influence des climats ; car, sur ce point, la différence entre les animaux et l’homme est radicale, et on pourrait dire spécifique. Il y a une géographie des animaux, comme une géographie des plantes ; il n’y a pas de géographie des hommes. Il est telle latitude où tels végétaux, tels quadrupèdes, tels reptiles, tels poissons, tels mollusques peuvent vivre ; et l’homme, de toutes les variétés, existe également partout. C’est là plus qu’il n’en faut pour expliquer une immense diversité d’organisation. Je conçois, sans nulle difficulté, que les espèces qui ne peuvent franchir tel degré du méridien ou telle élévation du relief de la terre sans mourir, subissent avec soumission l’influence des climats et en ressentent rapidement les effets dans leurs formes et leurs instincts ; mais c’est précisément parce que l’homme échappe complètement à cet esclavage, que je refuse de comparer perpétuellement sa position, vis-à-vis des forces de la nature, à celle des animaux.