Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/181

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à soutenir, de remonter au delà de la portée du bras. Ce n’est pas de l’irrévérence ; c’est, au contraire, le sentiment sincère d’une faiblesse insurmontable.

L’homme est un nouveau venu dans le monde. La géologie, ne procédant que par inductions, il est vrai, toutefois avec une persistance bien remarquable, constate son absence dans toutes les formations antérieures du globe ; et, parmi les fossiles, elle ne le rencontre pas. Lorsque, pour la première fois, nos parents apparurent sur la terre déjà vieille, Dieu, suivant les livres saints, leur apprit qu’ils en seraient les maîtres, et que tout plierait sous leur autorité. Cette promesse de domination s’adressait moins aux individus qu’à leur descendance ; car ces faibles créatures semblaient pourvues de bien peu de ressources, je ne dirai pas pour dompter toute la nature, mais seulement pour résister à ses moindres forces[1]. Les cieux éthérés avaient vu, dans les périodes précédentes, sortir, du limon terrestre et des eaux profondes, des êtres bien autrement imposants que l’homme. Sans doute, la plupart des races gigantesques avaient disparu dans les révolutions terribles où le monde inorganique témoigna d’une puissance si fort éloignée de toute proportion avec celle de la nature animée. Pourtant un grand nombre de ces bêtes monstrueuses vivaient encore. Les éléphants et les rhinocéros hantaient par troupeaux tous les climats, et le mastodonte même laisse encore les traces de son existence dans les traditions américaines[2].

Ces monstres attardés devaient suffire et au delà pour imprimer aux premiers individus de notre espèce, avec un sentiment craintif de leur infériorité, des pensées bien modestes sur leur royauté problématique. Et ce n’étaient pas les animaux seuls auxquels il fallait disputer et enlever l’empire. On pouvait, à la rigueur, les combattre, employer contre eux la ruse, à défaut de la force, et, sinon les vaincre, du moins les éviter et les fuir. Il n’en était pas de même de cette immense nature qui, de toutes parts, embrassait, enfermait les familles primitives et leur faisait sentir lourdement son effrayante

  1. Lyell's, Principles of Geology, t. I, p. 178.
  2. Link, die Urwelt und das Alterthum, t. I, p. 84.