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domination[1]. Les causes cosmiques auxquelles on doit attribuer les antiques bouleversements agissaient toujours, bien qu’affaiblies. Des cataclysmes partiels dérangeaient encore les positions relatives des terres et des océans. Tantôt le niveau des mers s’élevait et engloutissait de vastes plages ; tantôt une terrible éruption volcanique soulevait du sein des flots quelque contrée montagneuse qui venait s’annexer à un continent. Le monde était encore en travail, et Jéhovah ne l’avait pas calmé en lui disant : Tout est bien !

Dans cette situation, les conditions atmosphériques se ressentaient nécessairement du manque général d’équilibre. Les luttes entre la terre, l’eau, le feu, amenaient des variations rapides et tranchées d’humidité, de sécheresse, de froid, de chaud, et les exhalaisons d’un sol encore tout frémissant exerçaient sur les êtres une action irrésistible. Toutes ces causes enveloppant le globe d’un souffle de combats, de souffrances, de peines, redoublaient nécessairement la pression que la nature exerçait sur l’homme, et l’influence des milieux et les différences climatériques ont alors possédé, pour réagir sur nos premiers parents, une tout autre efficacité qu’aujourd’hui. Cuvier affirme dans son Discours sur les Révolutions du Globe, que l’état actuel des forces inorganiques ne pourrait, en aucune façon, déterminer des convulsions terrestres, des soulèvements, des formations semblables à celles dont la géologie constate les effets. Ce que cette nature, si terriblement douée, exerçait alors sur elle-même de modifications devenues aujourd’hui impossibles, elle le pouvait aussi sur l’espèce humaine, et ne le peut plus désormais. Son omnipotence s’est tellement perdue, ou du moins tellement amoindrie et rapetissée, que dans une série d’années équivalant à peu près à la moitié du temps que notre espèce a passé sur la terre, elle n’a produit aucun changement de quelque importance, encore bien moins rien de comparable à ces traits arrêtés qui ont séparé à jamais les différentes races[2].

  1. Link, ouvrage cité, t. 1, p. 91.
  2. Cuvier, Discours sur les Révolutions du Globe. — Voici, également, sur ces matières, l'opinion exprimée par M. le baron Alexandre de Humboldt : « Dans les temps qui ont précédé l'existence de la race humaine, l'action de l'intérieur du globe sur la croûte solide, augmentant d'épaisseur, a dû modifier la température de l'atmosphère et rendre le globe entier habitable aux productions que l'on regarde comme exclusivement tropicales ; depuis que, par l'effet du rayonnement et du refroidissement, les rapports de position de notre planète avec un corps central (le soleil) ont commencé à déterminer presque exclusivement les climats à diverses latitudes. C'est dans ces temps primitifs aussi que les fluides élastiques, ou forces volcaniques de l'intérieur, plus puissantes qu'aujourd'hui, se sont fait jour à travers la croûte oxydée et peu solidifiée de la planète. » (Asie centrale, t. I, p. 47.).