Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/237

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tiques, et comme moyen d’entourer de plus de mystères les rêveries de leurs théologiens. Ils avaient inventé, au hasard, les mots qui leur paraissaient résonner le plus étrangement à l’oreille. Cependant, si cette prétendue langue n’appartenait à aucune souche, si le sens attribué aux vocables était entièrement factice, la valeur eurythmique des sons, la grammaire, la syntaxe, tout ce qui donne le caractère typique fut invinciblement le calque exact de l’arabe et du persan. Les Soufis produisirent donc un jargon sémitique et arian tout à la fois, un chiffre, et rien de plus. Les dévots confrères de Djelat-Eddin-Roumi n’avaient pas pu inventer une langue. Ce pouvoir, évidemment, n’a pas été donné à la créature[1].

J’en tire cette conséquence, que le fait du langage se trouve intimement lié à la forme de l’intelligence des races, et, dès sa première manifestation, a possédé, ne fût-ce qu’en germe, les moyens nécessaires de répercuter les traits divers de cette intelligence à ses différents degrés[2].

  1. Un jargon semblable au balaïbalan est probablement cette langue nommée afnskoë qui se parle entre les maquignons et colporteurs de la Grande-Russie, surtout dans le gouvernement de Wladimir. Il n’y a que les hommes qui s’en servent. Les racines sont étrangères au russe ; mais la grammaire est entièrement de cet idiome. (Voir Pott, Encyclopædie Ersch und Gruber, Indogerman. Sprachstamm, p. 110.)
  2. Je ne résiste pas à la tentation de copier ici une admirable page de C. O. Müller, où cet érudit, plein de sentiment et de tact, a précisé, d’une manière rare, la véritable nature du langage. « Notre temps, dit-il, a appris par l’étude des langues hindoues, et plus encore par celle des langues germaniques, que les idiomes obéissent à des lois aussi nécessaires que le font les êtres organiques eux-mêmes. Il a appris qu’entre les différents dialectes, qui, une fois séparés, se développent indépendamment l’un de l’autre, des rapports mystérieux continuent à subsister, au moyen desquels les sons et la liaison des sons se déterminent réciproquement. Il sait de plus, désormais, que la littérature et la science, tout en modérant et en contenant, il est vrai, le bel et riche développement de cette croissance, ne peuvent lui imposer aucune règle supérieure à celle que la nature, mère de toutes choses, lui a imposée dès le principe. Ce n’est pas que les langues, longtemps avant les époques de fantaisie et de mauvais goût, ne puissent succomber à des causes internes et externes de maladie et souffrir de profondes perturbations ; mais, aussi longtemps que la vie réside en elles, leur virtualité intime suffit à guérir leurs blessures, à