Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/494

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Mais, depuis une vingtaine d’années que la philologie, la philosophie, la statistique, ont commencé l’inventaire de la société et de la nature hindoues, sans presque avoir l’espérance de le compléter de bien longtemps, tant la matière est riche et abondante, il est arrivé le contraire de ce que révèle l’expérience commune : moins une chose est connue, plus on l’admire ; ici, à mesure qu’on connaît et qu’on apprécie mieux, on admire davantage. Habitués à l’existence bornée de nos civilisations, nous répétions, imperturbablement, les paroles du psautier sur la fragilité des choses humaines, et lorsque le rideau immense qui cachait l’activité de l’existence asiatique a été soulevé, et que l’Inde et la Chine ont apparu clairement à nos regards, avec leurs constitutions inébranlables, nous n’avons su comment prendre cette découverte si humiliante pour notre sagesse et notre force.

Quelle honte, en effet, pour des systèmes qui se sont proclamés chacun à leur tour et se proclament encore sans rivaux ! Quelle leçon pour la pensée grecque, romaine, pour la nôtre, que de voir un pays qui, battu par huit cents ans de pillage et de massacres, de spoliations et de misères, compte plus de cent quarante millions d’habitants, et, probablement, avant ses malheurs, en nourrissait plus du double ; pays qui n’a jamais cessé d’entourer de son affection sans bornes et de sa conviction dévouée les idées religieuses, sociales et politiques auxquelles il doit la vie, et qui, dans leur abaissement, lui conservent le caractère indélébile de sa nationalité ! Quelle leçon, dis-je, pour les États de l’Occident, condamnés par l’instabilité de leurs croyances à changer incessamment de formes et de direction, pareils aux dunes mobiles de certains rivages de la mer du Nord !

Il y aurait pourtant injustice à blâmer trop les uns comme à trop louer les autres. La longévité de l’Inde n’est que le bénéfice d’une loi naturelle qui n’a pu trouver que rarement à s’appliquer en bien. Avec une race dominante éternellement la même, ce pays a possédé des principes éternellement semblables ; tandis que, partout ailleurs, les groupes, se mêlant sans frein et sans choix, se succédant avec rapidité, n’ont pas réussi à