Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/491

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des possesseurs de terres envers la royauté, et diminuant de leurs droits, proclama bientôt, avec une entière franchise, sa prédilection pour des doctrines encore plus purement romaines. Les mœurs publiques, s’associant à cette tendance, portèrent à la chevalerie un coup terrible en transformant contre elle les idées jusqu’alors admises par elle-même au sujet du point d’honneur.

L’honneur avait été jadis chez les nations arianes, était presque encore resté pour les Anglais et même pour les Allemands, une théorie du devoir qui s’accordait bien avec la dignité du guerrier libre. On peut même se demander si, sous ce mot d’honneur, le gentilhomme immédiat de l’Empire et le tenancier des Tudors ne comprenaient pas surtout la haute obligation de maintenir ses prérogatives personnelles au-dessus des plus puissantes attaques. Dans tous les cas, il n’admettait pas qu’il en dût faire le sacrifice à personne. Le gentilhomme français fut, au contraire, sommé de reconnaître que les obligations strictes de l’honneur l’astreignaient à tout sacrifier à son roi, ses biens, sa liberté, ses membres, sa vie. Dans un dévouement absolu consista pour lui l’idéal de sa qualité de noble, et, parce qu’il était noble, il n’y eut pas d’agression de la part de la royauté qui pût le relever, en stricte conscience, de cette abnégation sans bornes. Cette doctrine, comme toutes celles qui s’élèvent à l’absolu, ne manquait certainement pas de beauté ni de grandeur. Elle était embellie par le plus brillant courage, mais ce n’était réellement qu’un placage germanique sur des idées impériales ; sa source, si l’on veut la rechercher à fond, n’était pas loin des inspirations sémitiques, et la noblesse française, en l’acceptant, devait à la fin tomber dans des habitudes bien voisines de la servilité.

Le sentiment général ne lui laissa pas le choix. La royauté, les légistes, la bourgeoisie, le peuple, se figurèrent le gentilhomme indissolublement voué à l’espèce d’honneur que l’on inventait : le propriétaire armé commença dès lors à ne plus être la base de l’État ; à peine en fut-il encore le soutien. Il tendit à en devenir surtout la décoration. Il est inutile d’ajouter que, s’il se laissa ainsi dégrader, c’est