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Page:Godard d’Aucour - Thémidore, 1908.djvu/80

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un cadre vide où je pouvais moi-même placer mes solides réflexions. Elle me fit remarquer que les femmes étaient bien folles de compter sur le cœur des hommes dont l’unique but n’est jamais que de satisfaire leurs passions. Qui n’aurait pas gouté cette morale dans sa bouche ? Mais la façon dont elle la débitait excitait en moi pour elle les mêmes passions contre lesquelles elle déclamait avec tant de grâces.

De la morale au plaisir il n’est souvent qu’un pas. Au milieu des avis que me prodiguait si libéralement Rozette, je lui demandai si le soir je pourrais venir souper avec elle, et pour déterminer son consentement, je lui fis la galanterie d’une navette garnie d’or. Elle aime à faire des nœuds, ainsi elle reçut mon présent et me confessa que, malgré mes infidélités, elle m’aimait toujours : un bijou présenté à temps attendrit bien une âme : si les dieux se gagnent par des offrandes, pourquoi de simples mortelles y seraient-elles insensibles ?

Je la quittai avec peine. Retourné à la maison, j’y trouvai mon père auquel je fis un détail de ce que je n’avais pas vu la veille à l’Opéra et le soir aux Tuileries. Il sut en un moment l’histoire circonstanciée de mille aventures qui n’étaient certainement point arrivées. En pareilles circonstances il faut d’autant plus raconter de choses qu’on en a moins vues. Je lui dis que j’étais prié à souper en ville, et que la partie était indispensable. Je lui nommai une maison qu’il ne connaissait point ni moi non plus. Mon père est bon, peu défiant, s’en rapporte à moi, et m’aime extrêmement comme étant le dernier fruit de son amour avec ma mère à qui ma naissance a couté la vie. Je me fis conduire au Marais, renvoyai mon équipage et ordonnai au cocher de se trouver à côté de l’hôtel de Soubise à