Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/76

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pour Thomas une source de mille sensations pénibles. La première visite avait été une affaire de pure curiosité ; mais Thomas n’était pas un domestique de la classe ordinaire. Il fut frappé de l’état où il me vit. Quoique j’eusse alors l’esprit calme et une santé passablement bonne, cependant je n’avais plus ce teint fleuri qu’il m’avait vu ; la vie dure que je menais, et l’habitude du courage avaient fait contracter à mes traits une sorte de rudesse bien différente de cette fraîcheur et de cette douceur de physionomie que j’avais dans mes beaux jours. Les regards de Thomas se portaient alternativement sur ma figure, sur mes mains et sur mes pieds ; ensuite il poussa un profond soupir, et, après une pause :

« Bonté divine ! s’écria-t-il d’un ton qui annonçait assez les sentiments de commisération dont son cœur était plein, est-ce bien vous ?

— Pourquoi non, Thomas ? Vous saviez bien que j’avais été envoyé en prison, n’est-ce pas ?

— En prison ! Et il faut que les gens qui sont en prison soient enchaînés et garrottés de cette façon-là ?… Et où couchez-vous donc la nuit ?

— Ici.

— Ici ! Et il n’y a pas de lit !

— Non, Thomas, on ne me donne pas de lit. J’avais autrefois de la paille, mais on me l’a ôtée.

— Mais on vous débarrasse de tous ces fers pendant la nuit ?

— Non ; on me laisse pour dormir, précisément comme vous me voyez.

— Pour dormir ! Bon Dieu, je croyais que nous