Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/118

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ne pas se plier davantage à tous les caprices d’une personne qui avait toujours été avec lui si défiante et si hautaine. »

Émilie fit ses efforts pour l’apaiser ; mais toute l’éloquence de son nouveau confédéré ne put venir à bout de la faire départir de sa répugnance. Elle demanda jusqu’au lendemain pour y réfléchir. Le jour d’après était fixé par M. Tyrrel pour la cérémonie du mariage ; en même temps, le sort qui la menaçait de si près lui fut perfidement annoncé sous mille formes différentes. On apporta dans les préparatifs de sa torture la continuité et la méthode qui pouvaient rendre son angoisse plus vive et plus poignante. Si son cœur avait un instant de relâche, sa cruelle surveillante ne manquait pas, par un mot perfide ou par quelque raillerie amère, de mettre bientôt fin à cette tranquillité passagère. Elle se voyait, comme elle l’a depuis observé elle-même, seule, sans expérience, ayant à peine quitté, pour ainsi dire, les lisières de l’enfance, sans découvrir autour d’elle une seule créature vivante qui prît intérêt à son sort. Elle, qui jusqu’alors n’avait su ce que c’était qu’un ennemi, n’avait pas depuis trois semaines rencontré un coup d’œil dont elle n’eût pas au moins à se défier, si même elle n’y lisait pas le désir de la tourmenter et de la perdre. Elle sentait, pour la première fois, toute l’étendue de son malheur, de n’avoir jamais connu ses parents, et d’avoir été abandonnée à la charité de gens qui étaient trop loin d’être ses égaux pour qu’elle eût à en attendre des sentiments d’amitié.