Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/206

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— Pardonnez-moi, monsieur.

— Eh bien, Williams, est-ce que vous n’y avez pas vu la raison de ce que vous me demandez ?

— Point du tout. J’y trouve bien des raisons pour l’appeler fameux ; mais tous les hommes dont on parle beaucoup ne sont pas pour cela à admirer. On a porté des jugements très-opposés sur le mérite d’Alexandre. Le docteur Prideaux dit, dans ses Rapports de l’Ancien et du Nouveau Testament[1], qu’il mérite seulement d’être surnommé le grand égorgeur ; et l’auteur de Tom Jones a fait un livre pour prouver que lui et tous les autres conquérants devraient être mis dans la même classe que Jonathan Wild[2]. »

M. Falkland ne put s’empêcher de rougir à mes citations.

« Quel blasphème ! Ces auteurs se sont-ils imaginé que le cynisme grossier de leur censure viendrait à bout de détruire une renommée aussi justement acquise ? Comment avec du savoir, de la sensibilité, du goût, n’avoir pu se garantir d’une erreur aussi vulgaire ? Dites-moi, Williams, avez-vous jamais dans vos lectures trouvé de héros plus vaillant, plus noble, plus généreux ? Jamais mortel a-t-il été plus parfaitement opposé à tout ce qui est égoïsme et sentiment personnel ? Il se fit à lui-même un idéal sublime de la véritable grandeur, et il mit toute son ambition à réaliser cet idéal par

  1. Le docteur Prideaux était un historien et un antiquaire estimé, né à Padston, dans le comté de Cornouailles, en 1648.
  2. Fameux voleur choisi par Fielding pour être le héros d’un de ses romans.