Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/243

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services les plus essentiels, et cela simplement parce qu’en revenant sur sa vie passée, il s’y trouvait une action qui, quelle qu’en pût être la gravité, n’en était pas moins aujourd’hui irréparable.

Cette réflexion me conduisit à une autre, à laquelle je n’avais pas pris garde d’abord. Si j’avais été d’humeur à me rendre dénonciateur, ce qui s’était passé ne constituait nullement un genre de preuve admissible devant une cour de justice. « Eh bien donc, ajoutais-je, si le fait n’est pas de nature à être admis par un tribunal criminel, suis-je sûr qu’il soit tel que je puisse l’admettre pour moi-même ? À cette scène, dont je prétends tirer une aussi fatale conséquence, il y avait vingt personnes avec moi. Pas une d’elles n’a vu la chose sous le même jour que je l’ai vue. Toutes l’ont regardée comme une circonstance accidentelle et indifférente, ou bien ils l’ont trouvée suffisamment expliquée par les malheurs de M. Falkland et par son état d’infirmité. Renfermait-elle donc réellement une telle étendue d’applications et de conséquences, qu’il n’y avait personne que moi qui eût eu le discernement de les apercevoir ? »

Mais tous ces raisonnements ne produisirent aucun changement dans ma façon de penser. Je ne pouvais, pendant tout ce temps, bannir une seule minute de mon esprit : M. Falkland est l’assassin ! Il est coupable ! je le vois, je le sens, j’en suis sûr ! c’était ainsi qu’une inexorable destinée m’entraînait au précipice. L’état de mes passions dans leur marche rapide et progressive, l’ardeur et l’impa-