Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/60

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et je viens réclamer votre aide. Nous sommes tous les deux d’humeur peu endurante ; nous avons tous les deux une propension à nous laisser emporter. Dans l’état où sont les choses, il n’y a rien de déshonorant ni pour vous ni pour moi à prendre des précautions contre l’avenir, il pourrait venir un temps où nous aurions à regretter de n’avoir pas usé de prudence, et où il serait trop tard pour y avoir recours. Pourquoi deviendrions-nous ennemis ? Si nos goûts sont différents, poursuivons chacun notre carrière sans chercher à nous traverser. Nous possédons l’un et l’autre assez abondamment tous les moyens de bonheur ; nous avons tout ce qu’il faut pour vivre longtemps tranquilles et heureux, respectés de tout ce qui nous environne. N’y aurait-il pas de la folie à abandonner une pareille perspective pour courir les chances d’une rivalité et d’une lutte pénibles ? Entre gens de notre humeur, une telle position entraîne des conséquences dont l’idée me fait frémir. Je tremble, monsieur, qu’il n’en résulte la mort au moins pour l’un de nous deux, et pour le survivant le remords et le malheur pendant le reste de ses jours.

— Sur mon âme, vous êtes un homme étrange ! Quel besoin avez-vous de m’importuner de vos prédictions et de vos pressentiments ?

— Parce que cela est nécessaire pour votre bonheur ; parce que je crois convenable de vous avertir maintenant du danger que nous courons, plutôt que d’attendre jusqu’au point où ce que je dois à mon caractère ne me permettra plus de rester aussi tran-