Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/69

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la vie et la mort des misérables humains est curieuse à étudier ! Être tout à l’heure actif, gai, pénétrant, riche, par la mémoire, d’une foule de connaissances, capable d’amuser les hommes, de les instruire et de les exalter, puis, le moment d’après, n’être plus qu’une matière dépourvue de vie et de mouvement, un poids inutile sur la surface de la terre : voilà l’histoire de bien des hommes, et ce sera bientôt la mienne.

» Il me semblait que j’avais encore beaucoup de choses à faire en ce monde ; mais cela ne sera pas. Il faut se contenter de ce qui est fait : c’est vainement que je rappelle toute mon énergie morale, l’ennemi est trop fort et trop acharné contre moi : il ne veut pas me donner le temps de respirer ; ces choses-là sont hors de mon pouvoir, elles tiennent à un enchaînement de circonstances qui se succèdent continuellement sans s’arrêter. Le bien-être général, la grande affaire de l’univers ira toujours son train, quoiqu’il ne me soit plus donné d’y travailler pour ma part. Cette tâche est réservée à des mains plus fortes et plus jeunes, à vous, Falkland, et à ceux qui vous ressemblent. Nous serions bien méprisables vraiment, si l’espoir du perfectionnement de l’espèce humaine ne nous faisait pas goûter un plaisir pur et parfait, sans cependant que nous sachions si nous existerons pour en partager les fruits. Les hommes auraient bien peu à envier à l’avenir, s’ils avaient tous joui de la paix du cœur aussi complétement que je l’ai fait. »

M. Clare demeura levé toute la journée, se livrant