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Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/92

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tout à fait de cette inattention ; mais il était trop tard. La passion, dont son cœur s’était laissé innocemment pénétrer, avait déjà excité les soupçons de M. Tyrrel. L’imagination de celui-ci, ingénieuse à le tourmenter, lui suggérait tous les moyens d’amener la conversation au point où Émilie n’aurait pas manqué de placer l’éloge de M. Falkland, sans les entraves qui retenaient sa langue. La réserve qu’elle gardait alors lui était plus insupportable que ne l’avait été la répétition de ses éloges. Toute la bienveillance qu’avait montrée M. Tyrrel pour cette innocente orpheline vint à s’effacer de jour en jour. Cet engouement pour l’homme qui était par-dessus tout l’objet de sa haine, lui parut le dernier trait de la persécution d’une maligne destinée. Il se regarda comme arrivé au terme de la prédiction de M. Falkland, condamné par une fatale étoile à être abandonné par toute créature ayant figure humaine ; tous les hommes lui semblaient être sous l’influence d’un maudit enchantement qui ne leur faisait aimer que le clinquant et l’artificiel, en leur inspirant une antipathie mortelle pour les productions vraies et simples de la nature. Frappé de tous ces sinistres présages, il ne vit plus miss Melville qu’avec aversion ; et, habitué comme il l’était à s’abandonner sans réserve à tous ses penchants, il se détermina bientôt à sacrifier cette faible victime à son implacable vengeance.