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558 DIVAN.

neur aux autres sans nous rabaisser nous-mêmes. Vivons-nous quand les autres vivent ?

Et j’ai trouvé la même chose dans certaines antichambres, où l’on ne savait pas distinguer la fiente de souris de la coriandre.

Le passé voulait haïr ces nouveaux et vigoureux balais ; ceux-ci, à leur tour, ne voulaient pas souffrir les balais d’autrefois.

Et quand deux peuples se séparent dans un mutuel mépris, aucun ne veut convenir qu’ils poursuivent le même but.

Certaines gens, qui ont condamné le grossier égoïsme, ont plus de peine que personne à digérer les succès des autres.


L’amitié des Allemands, je n’en ai point affaire ; la politesse est au service de la plus fâcheuse hostilité. Plus ils se sont montrés caressants, plus mes menaces ont toujours été vives ; je ne me suis pas laissé rebuter, si l’aurore et le crépuscule étaient sombres ; j’ai laissé l’eau couler, couler pour la joie et la souffrance ; mais, avec tout cela, je suis resté maître de moi-même. Ils voulaient tous goûter ce que leur offrait l’heure présente : je ne les ai pas empêchés ; chacun a son désir. Ils m’envoient tous leurs compliments, et ils me haïssent à la mort.


Quelqu’un se trouve-t-il heureux et content, aussitôt le voisin veut le tourmenter. Aussi longtemps que l’homme de mérite est vivant et agissant, on le lapiderait volontiers ; mais est-il mort une fois, on recueille aussitôt de grandes sommes, pour achever un monument en l’honneur de sa misère. Toutefois la foule devrait bien alors comprendre son intérêt : il serait plus à propos d’oublier à jamais le bonhomme.


La supériorité, vous pouvez le sentir, ne saurait être bannie du monde : je me plais à converser avec les habiles, avec les tyrans.

Comme les stupides opprimés ne cessaient de frapper à la