Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

GŒTZ.

Excusez-moi. Adieu. (Il lui présente la main gauche.)

MARTIN.

Pourquoi me tendez-vous la gauche ? Ne suis-je pas digne de la droite d’un chevalier ?

GŒTZ.

Quand vous seriez l’empereur, il faudrait vous contenter de celle-ci. Ma droite, quoiqu’elle ne soit pas inutile dans la guerre, est insensible aux étreintes de l’amitié ; elle ne fait qu’un avec son gant : vous voyez, il est de fer.

MARTIN.

Vous êtes donc Gœtz de Berlichingen ? Je te remercie, mon Dieu, de me l’avoir montré, cet homme que les princes haïssent, et vers lequel se tournent les opprimés ! (Il lui prend la main droite.) Laissez-moi cette main, laissez-moi la baiser !

GŒTZ.

Non, non.

MARTIN.

Laissez-moi. Ô main, plus précieuse qu’une main de reliques, dans laquelle a circulé le sang le plus sacré, instrument sans vie, animé par la confiance du plus noble esprit dans son Dieu !… (Gœtz met son casque et prend sa lance.)

MARTIN.

Il y a longtemps qu’il passa chez nous un moine qui vous avait visité, quand vous essuyâtes ce coup de feu devant Landshut. Comme il nous racontait ce que vous avez souffert, et combien vous étiez affligé d’être mutilé pour votre carrière, et qu’il vous revint à l’esprit d’avoir ouï parler d’un homme qui n’avait non plus qu’une main, et qui néanmoins servit longtemps encore comme un brave cavalier !… Je n’oublierai jamais cela. (Les deux cavaliers arrivent ; Gœtz s’en approche. Ils parlent bas.)

MARTIN, continuant.

Je n’oublierai jamais comme il dit, avec la plus noble et la plus simple confiance en Dieu : « Et, quand j’aurais douze mains et que tu me refuserais ta grâce, de quoi ces mains me serviraient-elles ? Je puis donc avec une seule… »